Que recherchez-vous dans le cinéma ? Récemment, j’y cherche une mise en scène d’une certaine forme d’humanité. À ce titre, la filmographie d’Akira Kurosawa, que j’ai pas mal explorée en quelques mois, est une mine d’or (allez voir Barberousse pour vous en rendre compte).
Mais au début de ma cinéphilie, j’ai bouffé du Nouvel Hollywood non sans déplaisir, et la spécialité de ce courant est plus ou moins l’exploration de la violence dans la société : la guerre comme déshumanisation avec Apocalypse Now, la construction sociale de la violence avec Le parrain, l’auto-radicalisation à cause de la solitude avec Taxi Driver, la violence dans l’ADN humain avec 2001… Si bien que je me suis dit que le cinéma n’est jamais aussi pertinent que lorsqu’il explore cette thématique. On ressort de ces films bouleversés, plein de questionnement sur nos construits sociaux, etc. Malgré tout, le risque est de tomber dans une forme de complaisance avec la violence, à partir du moment où il y a un effet « feu d’artifice ». Récemment, je me suis reposé toutes ces questions à travers un film que je voulais voir depuis très longtemps : Combat sans code d’honneur (1973) de Kinji Fukasaku, assez connu du grand public pour avoir réalisé Battle Royale.
Que nous montre Combat sans code d’honneur ? Une ribambelle de yakuzas qui tour à tour se jurent loyauté pour au final sortir les flingues, dès que leur fierté est remise en doute par le gars du clan d’en face. Dans ce film d’à peine une heure trente, on a un concentré du mythe du yakuza : comment on y entre, comment on y évolue, il y ceux qui se révèlent fidèles, ceux au contraire qui écrasent les autres… La chose qui lie tout ça, c’est donc la fierté (d’où le code d’honneur du titre). Quand un yakuza vient en aide à un comparse au risque de se mettre dans le pétrin, c’est pour la fierté de respecter le pacte de sang qu’il a accompli avec lui. Au contraire, quand un homme de main trahit son boss, c’est parce que ce dernier s’est révélé indigne et qu’il a piétiné la fierté d’un homme.
Au milieu du visionnage, je me suis dit les choses suivantes : ces personnages ne méritent aucune empathie de notre part, ils répandent le sang et la mort parce qu’ils sont incapables de mettre de côté leur aspect « je pose mes couilles sur la table ». Il est alors légitime de se demander si ce métrage ne faillit pas à sa tâche, car ne ressentir aucune sympathie à l’égard de ses personnages n’est pas bon signe. Une version romantique du film de gangster, comme Le syndicat du crime de John Woo, y parvient très bien par exemple. Ce à quoi il faut répondre en deux temps.
Premièrement, quand bien même tout est noir dans ce film, les protagonistes, le milieu, les enjeux, il en ressort des images de cinéma d’une efficacité redoutable. Et pour cela, il faut admettre que Fukasaku est un sacré bon metteur en scène. La narration du film est d’allure rapide, avec une caméra qui bouge, qui est au plus près du visage de yakuzas et donc de leur réalité. Pour autant, malgré les scènes de tueries dynamiques et le nombre de personnages et d’éléments d’intrigue, tout est d’une grande clarté, presque rigide. Il en ressort un film où la violence montrée est brut, impitoyable et c’est déjà une réussite. Qu’importe que les personnages soient des salauds irrécupérables, on cherche à nous montrer une violence qui vous agrippe par le bras et qui vous fait courir. Le rendu est aussi génial qu’efficace.
Secondement, je me suis demandé si, quitte à ne pas vouloir nous montrer des personnages sympathiques, pourquoi choisir un personnage principal, un héros donc (incarné par Bunta Sugawara) ? Ne serait-ce pas paradoxal, puisque du coup le film arbore une figure iconique ? Eh bien, au vu de la fin, je dirais que non. Puisque, sans spoiler, le personnage de Bunta Sugawara nous dit dans une scène très bien filmée et avec une formulation absolument élégante : « tout ça pour ça ». C’est un peu un leitomitv des films de gangsters, que de nous montrer une orgie de violence pour aboutir à un dégoût qui fait office de morale (« mieux vaut se tenir éloigner de ces milieux »). Toujours est-il qu’à la sortie du film en 1973, le Nouvel Hollywood n’avait pas encore pleinement posé ces codes renouvelés du film de gangster, et donc, Combat sans code d’honneur est quelque peu précurseur de cette façon de montrer la violence au cinéma.
Alors oui, on peut se poser la question du voyeurisme. Voir autant de violence, nous plonger au cœur du quotidien de ces personnages peu fréquentables, est-ce la meilleure façon d’en dénoncer le comportement ? Ou cela nous rend-il complices ? La morale somme toute gentillette est-elle d’une candeur humaniste ou d’un cynisme malvenu ? À chacun son opinion. J’ai toujours aimé à croire que faire de la violence une image saisissante était un moyen de nous faire réfléchir. Et donc à ce titre, Combat sans code d’honneur m’a paru être un excellent film.
Ta réflexion est très bien menée, j’apprécie le fait que tu ne glorifies pas « bêtement » la violence. Même si c’est loin d’être ma tasse de thé, j’accepte que certains films puissent utiliser cette manière brute pour dénoncer. Encore une fois, c’est super de ne pas voir juste les qualités cinématographies « oh la belle image, amen au message ! » XD (Et je souligne également que ton style est bien plus fluide ici, comparé au tout premier article du blog ^^)
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Merci pour ton commentaire ^__^
Il fut un temps, je me concentrais surtout sur les images, mais j’essaie à présent de voir au-delà. Je n’ai pas raconté la fin en détail, mais elle est vraiment parfaite et géniale, et bien que flamboyante, elle ne glorifie pas du tout la violence à mon avis. Au contraire, je trouve qu’elle retourne tout le film.
Ah un cran de progression alors ;D J’avoue que je n’ai pas du tout travaillé à améliorer le style pourtant XD Je pense que c’est Creepy qui m’a retourné le cerveau et j’avais du mal à être clair alors :b
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Une fois de plus je te fais confiance comme je ne pense pas vérifier par moi-même la fin du film haha Bien plus qu’un cran, je trouve ! 😉
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J’ai bien aimé ce film et je rejoins assez ton analyse. Notamment sur l’intrigue, j’ai pas les connaissances cinématographiques nécessaires pour avoir un avis fiable sur la réalisation, mais pour ce qui est de l’utilisation de la caméra, je trouve que tu as bien traduis le ressenti qu’on peut avoir devant les affrontements.
J’ajouterais que la brutalité et la vitesse à laquelle tout ça se passe renforce le message moral, aussi simple soit-il. On y va pas par quatre chemins, les personnages n’hésitent pas à se la faire à l’envers, c’est dégueulasse, froid, avec des tentatives pitoyables de faire preuve de chaleur humaine (je pense au vieux couple là) et un personnage principal qui suit bien le code yakuza, avec au bout toute l’incohérence de la chose, la confrontation entre la morale d’un côté, l’égo et le profit de l’autre.
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Merci d’avoir commenté ;D
On a à peu près le même avis alors. J’ai vraiment l’impression que c’est le film de yakuza de référence, parce qu’il y a tout dedans.
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« Il est alors légitime de se demander si ce métrage ne faillit pas à sa tâche, car ne ressentir aucune sympathie à l’égard de ses personnages n’est pas bon signe » Je pense que, justement, Fukazaku a atteint son but, qui était de dynamiter les codes du Yakuza Eiga. Avec Fukazaku on est passé du Ninkyo eiga, « Film de Chevalerie » où le personnage du Yakuza était un héros « positif » des temps moderne, au Jitsuroku Eiga, « cinéma vérité », loin du fantasme cinématographique du cinéma populaire des années 60, financé par les Yakuza, qui participaient du coup à la construction-idéalisation de leur propre image. Fukazaku nous montre des salauds, qui vivent du mal et périssent par le mal.
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Merci pour ces précisions, je ne connaissais pas ces courants du film de yakuza ! J’avoue avoir formulé la chose de manière volontairement candide, pour expliquer pourquoi c’est une qualité du film. Et merci de ton premier commentaire ;D
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J’ai bien apprécié la manière dont tu rapportes le film au cinéma, le film à tes ressentis, mais aussi ta manière de jongler avec le tout pour parler du film ou de définir la violence en fonction de son traitement visuel. En plus c’est sans doute l’un des articles les plus soignés que j’ai pu lire de toi, sobre, agréable, scénarisé avec ce qu’il faut d’intime et surtout : en donnant l’envie de voir ce film dès que possible :3.
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Oh dis donc, que de compliments, merci ! :3
Je pense que je n’ai pas assez de background pour parler de manière universelle, du coup je me place comme simple spectateur. Et je me dis en plus que la plupart des gens qui me lisent sont comme moi. Et en même temps j’essaie d’être global à certains moments, quand je pense que le rapprochement que je fais est valable.
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