Ce qui appartient au cinéma – A Hero Never Dies de Johnnie To (1999)

En 1999, Johnnie To réalise A Hero Never Dies, son premier film pour la compagnie Milkyway Image Ltd. qu’il vient de monter. Il signe un polar à tendance heroic bloodshed teinté d’un élan romantique qui caractérise déjà son cinéma et pour les années à venir.

Deux hommes de main appartenant à des gangs différents se vouent un grand respect, au point de se rencontrer dans un bar pour boire après une fusillade mortelle. Lorsque leurs boss respectifs décident de faire affaire ensemble, ces anciens tueurs d’élite obéissant aux anciennes lois chevaleresques sont devenus gênants. Malgré tout ce qu’ils ont fait pour eux, ils n’ont plus qu’à disparaître. Les deux gangsters, bien aidé par leurs compagnes aimantes, vont devoir se venger pour rétablir le code de l’honneur.

Johnnie To est-il un technicien à cheval sur les finances ou un auteur ? Ces films sont-ils le témoin d’une expérimentation foisonnante comme peut le faire Takashi Miike au Japon, ou simplement les traces de multiples tentatives de pénétrer le marché accompagnés de recherches formalistes froides pour plaire aux festivals ? Pour resituer la chose, Johnnie To a commencé sa carrière de metteur en scène dans le cinéma après une expérience dans la télévision, sans y trouver son compte. Il repart aussitôt à la télévision et réapparait sur les grands écrans dès le début des années 1990, enchainant les films de commande. En 1997, année de la rétrocession, tout le monde a foutu le camp de Hong Kong par crainte d’être brimé d’un point de vue créatif. Johnnie To saisit la possibilité de devenir seul maître à bord et créé sa compagnie de production dont la vocation première est d’accompagner une nouvelle jeune garde de réalisateurs. Très vite, il se détourne de cet objectif pour, à l’instar de Tsui Hark avec la Film Workshop, prendre le contrôle intégral de la créativité sur les films qu’il réalise, scénarise et produit. Son crédo : produire des romcom, toujours autant en vogue, pour faire tourner la boite et s’impliquer fortement dans le polar, un genre qui a fait le renom du cinéma de la ville au port-parfumé mais demeure largement en perte de vitesse à la fin des années 1990. Dans ces films de gangsters et de policiers, il va tenter de nombreuses choses d’un point de vue narratif et formel, et sera un réalisateur bien apprécié de la cinéphilie mondiale pour cette raison. Quiconque s’intéresse au cinéma asiatique a facilement en tête une bonne dizaine de films « cultes » de Johnnie To : The Mission, P.T.U, Election 1 & 2, Judo

Il est clair que la dimension producteur du profil de Johnnie To est importante et à ce titre, il est constamment travaillé par des questions d’argent. Que dire, si ce n’est qu’on peut toujours réaliser un film avec des moyens minimaux pour ne pas se soucier de cet aspect – des très bons en ont été faits ainsi –mais que passé un certain niveau d’ambition, la question de l’argent se pose toujours ? Cette problématique n’a pas grand intérêt. Le cinéma de Johnnie To est caractérisé, donc, par des expérimentations formelles dans ses films réputés plus personnels, et le sujet est de savoir si elles sont issues d’une ambition intéressée relative à la visibilité en festivals, ou à de réelles fulgurances d’un artiste inspiré. La réponse… n’a pas plus d’intérêt. Car ce qui reste du cinéma d’un réalisateur, Johnnie To compris, ce sont ses films. Et c’est là que le spectateur s’en empare, et en fait quasiment ce qu’il en veut. Le plan-séquence de Breaking News, le faux-ralenti de Triangle, la violence tétanisante de Election 2, la stupeur du couperet à la fin de Drug War, et surtout, la chaleur humaine qui englobe des œuvres telles que Judo, P.T.U. et The Mission, sont autant d’artifices cinématographiques qui génèrent des images de toutes formes et de toutes les couleurs, tordues dans tous les sens, et le cinéma n’est jamais aussi plaisant et grisant que dans ce genre d’optique. Ces qualités que l’on perçoit dans les films de Johnnie To, elles appartiennent maintenant au spectateur. Si ça n’avait plu à aucun spectateur, la carrière de To se serait éteinte plus tôt.

A Hero Never Dies est le premier film que To réalise avec cette intention de recherche formelle. Il s’inscrit dans l’hommage à l’heroic blooshed façon Le Syndicat du crime autant qu’il annonce la galerie de personnages à la facette humaine qui interviendra tout le long de sa filmographie. On ne pénètre pas complètement la psychologie des deux « héros », qui demeurent des figures stylisées et impassibles de personnages, une idée qu’on pourrait rapprocher de King Hu et sa référence à l’opéra de Pékin (certes ce dernier utilisait cette absence de psychologie pour définir le contexte de la Chine ancienne et l’impénétrabilité supposée d’un individu de cette époque). Les deux protagonistes déambulent dans cette intrigue mécanique et bien huilée, au détour de scènes iconisantes, leur conférent un certain charisme. En revanche, leur compagne nous offrent une psychologie bien plus poussée, bien plus fine, et qui démontre que Johnnie To sait non seulement ce qu’il fait, mais en plus choisit de conférer, ou une psychologie ou une stylisation formelle à ses personnages. En témoigne la scène où Fiona Leung, qui interprété la compagne d’un Lau Ching-wan meurtri physiquement et mentalement, vient demander des comptes en plein gala au boss qui l’a trahi. Cette séquence est d’une intensité énorme, grâce à l’acting fort de Fiona Leung, aidé par la mise en scène qui tend à montrer tant le malaise du chef de triade en pleine réception que la détresse des deux amoureux. L’autre petite amie, celle de Leon Lai, campée par Mung YoYo, fait preuve d’un courage énorme et en paye le prix : défigurée en pleine jeunesse, elle rappelle l’importance de l’apparence en société.

Le cinéma de To ne manque pas d’élans romantiques et d’effusions cathartiques et qu’importe les velléités qui l’ont poussé à former son cinéma ainsi. Ses films appartiennent à la grande famille du cinéma et c’est au spectateur cinéphile d’apprécier cette proposition. A Hero Never Dies est un film rempli d’émotion et de stylisation, doublé d’une lettre d’intention sur ce que voudra faire Johnnie To et qu’il a fait dans les vingt années à venir.

Maxime Bauer.

A Hero Never Dies de Johnnie To. Hong Kong. 1999.

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