Une pluie sans fin est le film chinois qui fait parler de lui cet été 2018. Il s’agit pourtant de la première œuvre de son auteur réalisateur, Dong Yue.
Fiche technique
Titre original | international : 暴雪将至 Bàoxuě jiāng zhì (« Le tempête qui arrive ») | The Looming Storm
Année de sortie : 2018
Nationalité : Chine
Réalisateur : DONG Yue
Scénariste : DONG Yue
Directeur de la photographie : CAO Tao
Acteurs principaux : DUAN Yihong, JIANG Yiyan, YUAN Du
On regarde toujours le cinéma de la Chine continentale avec une certaine fascination. Il faut dire que la culture chinoise est ancienne et large, mais qu’au début du XXème siècle, les remous politiques n’ont pas permis à cette nation de produire du cinéma de la manière que l’Europe, les États-Unis ou le Japon. Ce n’est que dans les années 1980, avec la fameuse « cinquième génération » de réalisateurs (comprenant des noms tels que Chen Kaige ou Zhang Yimou) ont remis la Chine sur le devant de la scène. Jusque-là, il fallut se tourner vers Hong Kong et Taïwan pour appréhender le cinéma chinois – ces courants ayant connu leurs propres révolutions et ayant développé leur propre personnalité, bien que leur ADN chinoise soit incontestable. Avec des films tels que Terre jaune ou Le sorgho rouge, on assiste alors comme à un éveil, comme si la Chine avait décidé de dire « nous prenons à présent le train en marche et nous allons vous montrer ce dont nous sommes capables. » Malgré un organe de contrôle toujours présent, les chefs-d’œuvre de la Chine continentale se succèdent depuis 30 ans.
Et bien que les influences américaines et des pays voisins soient inévitables, il y a toujours un petit élément, un petit plan qui nous rappelle que ce cinéma est unique. Et c’est bien le cas pour le film Une pluie sans fin.
Une pluie sans fin est l’histoire d’un enquêteur, employé dans la sécurité d’une usine en 1997, qui travaille main dans la main avec la police pour démasquer l’assassin de plusieurs femmes, découvertes près de ladite usine. Au début de cette année-là, la pluie est continuelle et semble s’éterniser.
Le pitch du scénario a plusieurs fois réagir les spectateurs, comparant le film de Dong Yue avec Memories of murder de Bong-Joon-ho en Corée ou le Zodiac de David Fincher aux États-Unis. Ces deux films sont très emblématiques de la société qu’ils représentent et sont tous deux tirés de faits divers se ressemblant étonnamment. Une pluie sans fin est quant à lui une pure fiction. Certaines personnes n’ont pas beaucoup hésité à qualifier ce dernier de copie. Pourtant, lorsqu’on interroge son auteur, il le comprend plus proche de Jia Zhangke, réalisateur spécialisé dans les portraits sociaux de la Chine continentale. Et en regardant de plus près, on constate la parenté et donc, l’objectif de Dong Yue à travers ce film.
Dans le décor, l’élément le plus important est sans doute l’usine. L’intrigue se déroule presque entièrement dans son périmètre, le, personnage principal y travaille, et on soupçonne dès le début le criminel d’en être un employé. Le film Red Amnesia sorti en 2016 nous apporte une clé de compréhension : il rappelle à quel point l’usine est un facteur important de la Chine communiste, vecteur de croissance et de puissance, et que Mao Zedong n’avait pas hésité à déménager en Montagne, un chantier titanesque, pour les protéger d’une très éventuelle invasion.
Un plan dans la première partie du métrage est également très important : celui de la remise des récompenses. On y voit une foule uniforme, un décor rouge, carré et à l’ancienne, etc… Ce plan nous montre tout simplement la Chine communiste et sa grandeur supposée. En 1997, son heure de gloire était déjà passée. Quant à la foule, il faut regarder du côté de la filmographie de Jia Zhangke : ce dernier a fait de la question de l’individualité acceptée après la pensée collective dans les années 1980, le sujet principal de son deuxième film, Platform en 2001. La Chine communiste était donc productiviste, récompensait les employés dévoués et mettait en œuvre la vision maoïste du communisme.
Avec ces deux éléments, on constate que Dong Yue a voulu nous montrer les ultimes souvenirs de la grandeur d’une gouvernance, qui est en train de s’éteindre dans une tempête infinie. À cet effet, la pluie incessante, au-delà de son sens (la tristesse, l’inconfort), génère des sensations rarement utilisées de cette manière. Et n’oublions la signification du titre original, « La tempête qui arrive », nous rappelant que la Chine a adopté l’ultra-libéralisme et ses conséquences.
Une pluie sans fin n’est donc pas une simple copie de Memories of murder. C’est un film qui en un sens, achève de consacrer l’ouverture de la Chine dans le domaine du cinéma, à la fois en arborant les codes du thriller tels qu’ils existent depuis fort longtemps dans le cinéma mondial (et encore, le cap change dès le milieu du film pour nous proposer une autre vision du cinéma), et dans le même temps, faire des renvois à des éléments de pure culture chinoise. La société chinoise poursuit encore son ouverture sur divers pans, le cinéma est l’art le plus approprié pour en être le témoin. Continuons de jeter un œil à ce 9ème art là, il n’a pas fini de nous surprendre.
Un commentaire sur “La Chine et les codes – UNE PLUIE SANS FIN de Dong Yue (2018)”