Filmer la campagne est tout un art et sur ce terrain, les asiatiques sont experts. Il n’y a qu’à voir les films qui ont ce sujet pour thème principal, tels que les films de Naomi Kawase (La forêt de Mogari), ou même dans le cinéma d’animation (Ame et Yuki, Souvenirs goutte à goutte).
Wang Bing est le documentariste chinois le plus productif de ces dernières années, et pour Les trois sœur du Yunnan, il s’est rendu à 3000 mètres d’altitude filmer le quotidien éreintant de trois jeunes filles, partagés entre la volonté de s’éduquer et la dure nécessité de travailler, tous les jours, tout le temps. Pour cela, ni voix off, ni musique, Wang Bing opte pour une réalisation sèche, qui va à l’essentiel.
Et c’est là le mot d’ordre : l’essence. Les trois sœurs du Yunnan cherche l’essence de la vie, l’essence du quotidien, l’essence de la réalité. Alors qu’on pourrait imaginer le documentaire comme un genre annexe du cinéma, qui au lieu de former un message à travers une mise en scène et une narration de fiction, ne ferait « que » filmer la réalité telle qu’elle est, Wang Bing l’objet du documentaire. Le documentaire filme la réalité oui, mais n’occulte pas la construction d’un message à travers une mise en scène.
Les visages burinés des sœurs, la boue, la brume, le versant de la montagne, tout nous ramène à ce qu’est de vivre à la campagne, et les idées sociales qui en découlent. Le quotidien des habitants du village est particulièrement difficile, partagé entre une nécessité de travailler l’agriculture dès le plus jeune âge et un ennui mortel. On le ressent à chaque image et choisir des enfants comme témoins principaux est à la fois osé et particulièrement juste. On pourrait se demander pourquoi Wang ne s’attarde pas sur le point de vue de ses protagonistes, en ne les interrogeant jamais. En effet, les intervenants sont assez fermés. En réalité, ils vivent leur fatalisme : ils ne connaissent rien d’autre et si la vie est dure, c’est la leur et ils ne s’en plaignent pas.
Ainsi, Les trois sœurs du Yunnan est un formidable témoin socio-culturel de son temps. En filmant la réalité sans artifice, Wang Bing nous amène au plus proche d’un quotidien qui semble si éloigné de celui de la plupart de ses spectateurs, y compris des Chinois, qui vivent dans un pays paradoxalement de plus en plus moderne.