Le cinéma est souvent question de savoir-faire. Certains films, fiasco financier et/ou critique, sont boudés à leur sortie et réhabilités par la suite. Le temps donne raison aux œuvres.
Le cinéaste dont je vais vous parler n’est pas à proprement parler invisible ou oublié, ou même boudé, puisqu’il est le réalisateur de Big Boss et La fureur de vaincre de Bruce Lee. Il s’agit de Lo Wei. Malheureusement, à travers les films de Bruce Lee, on ne voit que le dragon et non le metteur en scène, ce qui peut expliquer qu’à l’heure actuelle, Lo Wei n’est pas très présent dans les mémoires. Pourtant, je trouve que Big Boss et La fureur de vaincre sont de loin les films les mieux mis en scène parmi la courte filmographie de kung fu pian (film d’arts martiaux chinois au corps à corps) de Bruce Lee. Ce dernier a réalisé La fureur du dragon mais à l’inverse des deux précédents, la mise en scène est moins assurée, moins saisissante, plus plan-plan. Sans doute était-ce en raison du fait que c’était le premier film mis en scène par Bruce Lee. S’il avait pu finir Le jeu de la mort, les extraits portent à croire qu’il avait atteint des qualités réelles de réalisateur, au même titre que Lo Wei.
Et donc, Lo Wei a réalisé d’autres films que ceux avec Bruce Lee, notamment pour la société de production Golden Harvest et notamment ce petit film méconnu : Les 8 invincibles du kung-fu. Ce film porte un très mauvais titre français car il ne s’agit d’un kung fu pian mais d’un wu xia pian (film de sabre chinois content les légendes des héros et divinités des temps anciens). Son contenu est plutôt ambitieux : un terrible seigneur a pris le pouvoir dans son fief en supprimant ses huit camarades guerriers et s’attribuant leurs honneurs. Les huit enfants de ces derniers se retrouvent et se vengent.
Mine de rien, mettre en scène une ligne de huit héros d’un bloc est assez grandiose et pour une production relativement modeste, le pari est osé. Même Marvel et DC ne s’y sont pas risqués. Et pourtant, le film fonctionne parfaitement d’un bout à l’autre. Les personnages sont correctement introduits, identifiés et surtout, ils dégagent tous un fort charisme. Ceci est le point d’orgue du film et est très probablement dû au talent de metteur en scène de Lo Wei : il sait faire poser ses personnages, il sait les planter dans un décor et il sait filmer leurs mouvements. Ce savoir-faire, qu’on peut attribuer dans le même genre au génial King Hu (Dragon Inn, A touch of zen), a tout de celui d’un artisan : de la technique, de la réflexion et fabriqué non sans cœur.
Les 8 invincibles du kung-fu n’est sans doute pas le chef d’œuvre de sa décennie. Mais il se fixe une visée et la remplit sans mal. Lo Wei nous rappelle ce qu’est la mise en scène et c’est une bonne chose.