Le nouveau cinéma taïwanais des années 1980 est un courant absolument passionnant, bien que finalement peu accessible chez nous et pour des raisons très terre-à-terre : hormis Hou Hsiao-hsien, bien représenté sur nos étals vidéo, nous connaissons d’autre seulement Edward Yang et déjà beaucoup moins bien.
Pourtant, Edward Yang est l’ainé et le meneur considéré du nouveau cinéma taïwanais. Et malgré cela, peu de film de lui nous sont parvenu. Même Yi Yi, pour lequel il a eu la palme d’or, n’est plus commercialisé à l’heure actuelle. Fort heureusement, l’éditeur Spectrum a réédité dans un formidable blu-ray le film The terrorizers. C’est celui qui va nous intéresser aujourd’hui.
Et là vous me dîtes : « mais là tu parles trop de vidéo, de DVD, de bluray, ce n’est que le contenant et c’est secondaire, on s’en fiche ! ».
J’en profite pour faire une aparté là-dessus. Oui, la vidéo est encombrante et coûteuse. Et à l’heure du numérique, c’est un domaine qui parait obsolète et en mauvaise santé. Pourtant, pour avoir fait des recherches, je peux vous dire que certains films n’existent pas autrement que sous ce format, même en téléchargement. Il s’agit des films d’auteur et/ou des films du monde, souvent diffusés dans les festivals, à un public mur, qui n’a pas l’habitude d’aller sur internet chercher ces œuvres. À l’heure actuelle, ces films restent une niche pour les éditeurs qui, j’ai l’impression, à l’instar du livre, luxifient leurs produits pour garder une marge. En attendant, c’est le seul moyen que j’ai trouvé de voir dans une qualité décente les films qui m’intéressent. Le jour où une plateforme correcte et fournie pour ce type de cinéma alternatif verra le jour, on pourra peut-être enterrer la vidéo. En attendant, c’est pour cette raison que je martèle ces informations : ce sont mes sources, les plus simples d’accès ou les seules, de meilleure qualité et qui respectent les artistes.
Pour en revenir au film et pour faire le lien avec ce que je viens de dire, c’est un des seuls films de Yang que j’ai vus car c’est un des seuls films que j’ai pu voir. Cela me désole car c’est un film d’une très grande qualité et au vu des bonus du bluray, Edward Yang a le potentiel d’être le cinéaste qui me correspond le plus si on me posait la question « quels films ferais-tu si tu serais cinéaste » ? Je vous invite à répondre à cette question en commentaire d’ailleurs !
Pas besoin de résumer le film car il est indescriptible. Il enchaine des évènements, ficelés de telle manière qu’ils vous happent sans que vous arriviez vraiment à mettre le doigt sur ce qui vous plait précisément. En réalité, c’est le fait même que tous les personnages se croisent inopinément, que leurs histoires s’entremêlent malencontreusement, qui est plaisant. Le film fonctionne comme un système de flux, d’échanges entre les agents et c’est ce concept-là qui est intéressent. En plus de cela, Yang fait adopter à son film une image, des couleurs, un grain, discrets mais marquants.
Ces qualités du cinéma de Yang, on les doit à ses centres d’intérêts, divers et surprenants : l’urbanisme d’abord, faisant de ses films des années 80 et notamment The terrorizers, des témoins du passage de la dictature nationaliste à l’ère libérale, et l’étourdissement qui va avec. Le cinéma occidental, la nouvelle vague, les manganimes ensuite, l’inspirent dans la forme. Comme Yang est quelqu’un de très fin, les références ne sont pas lourdes : il a d’abord ingéré ses modèles et dilue ses propres idées qui en découlent.
Une fois que l’on sait cela, on sait qu’on a affaire à un film beau, intelligent, témoin et critique de son époque au niveau économique et social et au somment du mouvement auquel il appartient. Ainsi, The terrorizers est un film à la croisée des cultures, fruit d’inspirations diverses pour son auteur, qui fait autant du cinéma avec la cœur qu’avec la tête, et qui à son autour a servi de modèle. On peut citer Wong Kar-wai ou Apichatpong Weerasethakul. C’est simple, si on devait schématiser l’influence de The terrorizers, ce serait le nœud du symbole de l’infini.