Akira Kurosawa est un très grand réalisateur, qui a passionné beaucoup de cinéphiles à travers le monde depuis son âge d’or des années 1950. Chaque tournant de son œuvre suscite son lot d’analyses, de réflexions et débats passionnés, à l’image de son passage à la couleur en 1970 avec Dodes’kaden. Ses tout premiers films sont relativement méconnus, bien que la décennie 1940 fut l’une de ses plus productives. Disons qu’il connut le début du succès avec une œuvre plus complète telle que L’ange ivre en 1948. Pourtant, son premier film, La légende du grand judo, pose à bien des égards tout ce qui fera les caractéristiques de son cinéma.
La légende du grand judo est l’histoire de Sanshirô Sugata, le disciple du créateur de la discipline, et sa façon d’appréhender cet martial par rapport à son contexte historique (le XIXème siècle). Il s’agit d’une ère d’ouverture à l’Occident et de déclin des arts martiaux traditionnels tels que le jiu-jitsu. Comme dans bien des films de Kurosawa, La légende du grand judo nous présente un personnage, un héros résolument humain et dont la bonté va se répandre.
La mise en scène est assez visionnaire pour l’époque. Dans le documentaire Kurosawa, la voie, Martin Scorsese décrit la scène du combat contre un maître de jiu-jitsu (interprété par Takashi Shimura, acteur fétiche du maître), où l’essentiel du spectacle se déroule dans les yeux du public du match. Cette façon de narrer est selon lui avant-gardiste. Et il est vrai qu’il découle de ce procédé une véritable tension, un rythme inhabituel pour un film de 1943. Aussi, le combat final contre le disciple décadent du personnage de Takashi Shimura, sur une plaine battue par le vent, est d’une grande beauté, et n’est pas sans rappeler le Harakiri de Masaki Kobayashi, réalisé près de 20 ans plus tard. Cette scène a nécessité l’attente du bon moment de la levée du vent, et témoigne une fois encore du souci du détail de Kurosawa. Probablement la marque des grands réalisateurs.
3ème assistant de Mikio Naruse, ayant pour aîné Ishirô Honda (futur réalisateur de Godzilla), Kurosawa était l’étoile montante des studios japonais de l’époque et a fait ses preuves avec La légende du grand judo. En 1944, lorsque la guerre bat son plein, sort Le plus dignement, film qui entachera longtemps son œuvre, car jugée nationaliste et pro-guerre. À ce sujet, les avis divergent sur l’opinion réelle de Kurosawa quant à ses idées de jeunesse : a-t-il de son plein gré contribué à l’effort de guerre ? Était-il contraint d’instiller des éléments nationalistes dans ses films ? Difficile à dire quant à celui-ci. En tout cas, La légende du grand judo est lourdement passé par la case censure et fut amputé de pans de pellicule. Et en 1945, au sortir de la guerre, Akira Kurosawa va continuer à déployer ses messages à travers de nouveaux films et un contexte bien plus favorable à sa liberté de ton.
To be continued.