Comment contempler – MABOROSI de Hirokazu Kore-eda (1995)

Hirokazu Kore-eda est communément admis comme l’un des cinéastes japonais contemporains les plus connus et appréciés. Pourtant, il semble que son premier film de fiction ne soit pas le plus connu de sa filmographique. À bien des égards, il s’agit d’un film d’une extrême puissance dans la contemplation, à tel point que l’on n’a pas l’impression qu’un si jeune cinéaste ait pu accoucher d’une telle œuvre. Aimant beaucoup les films contemplatifs, je vous propose une définition possible de cette catégorie d’œuvre à travers Maborosi de Kore-eda, qui selon moi en est l’un des plus représentatifs et qualitatifs.

En tete

Maborosi nous propose de suivre une femme, interprétée par Makiko Esumi, dans l’incompréhension après la mort étrange de son mari. Elle se remariera, se questionnera sur la mort et le passé… Bref, tout ceci est un point de départ pour nous amener à la contemplation. À partir de là, le réalisateur développe plusieurs éléments pour que le spectateur ressente de tout son corps des émotions telles que la nostalgie ou l’ataraxie.

Premièrement, il y a des décors à poser. Le début de l’intrigue se déroule à Tokyo, dans un appartement résolument sombre. Les jours sont gris, les nuits sont noires. La seconde partie du film se déroule dans une bourgade près de la mer. Là, l’accent est mis sur l’appartement du couple, dont le côté traditionnel est proéminent dans la façon dont il s’accorde avec la nature environnante. Et donc, il y a cette mer, bleue, gigantesque mais qui apparaît bienveillante.

Une fois que le décor est planté, il convient d’y ajouter des sensations. Dans les décors sombres de la première partie, c’est le calme qui importe. Il est question de la mort d’un personnage, d’un abandon, d’une incompréhension, mais voulue profonde, un questionnement dans l’âme de l’héroïne. Le spectateur doit ressentir le vide : le vide dans l’environnement sonore, le vide dans les couleurs. Par la suite, une fois remariée, le bonheur est à portée, la mer est là, les couleurs sont plus chatoyantes, d’une beauté que seule la nature peut offrir. On entend aussi le bruit du vent et des vagues de manière constante. Tout ceci est cristallisé dans le plan final de la procession, où le passé et le présent se rejoignent, avec de nouvelles couleurs, sombres, mais avec une nature présente et rassurante également.

Lorsque tout ceci est établi, le réalisateur n’a plus qu’à faire quelques focus sur les personnages et leurs dialogues. Et quand je dis focus, je devrais dire mise en avant, car bien souvent, Kore-eda choisit de mettre en avant l’existence de personnage mais en le filmant de loin (c’est le cas d’Asano que je peine à reconnaître, mais c’est un procédé logique du au fait qu’il est une ombre). Les personnages sont aussi filmés de loin pour saisir l’étendue naturelle dans laquelle ils sont intégrés. Aussi, l’habillage compte. Quand le couple remarié est quasi nu l’été, on en ressent la chaleur et la moiteur. Quand ils sont parés de longs manteaux noirs, on ressent leur déprime hivernale.

Le décor est planté, les sensations sont matérialisées, les personnages sont définis dans le plan. Les quelques lignes de dialogues coulent tout naturellement dans nos oreilles pour saisir le questionnement que veut nous transmettre le réalisateur : une réflexion sur le deuil, les doutes, les regrets, l’incompréhension. Tout se retrouve dans l’aspect visuel et sensationnel, et il suffit que les personnages parlent pour que tout nous saute aux yeux. Voilà une formidable façon de nous proposer un film contemplatif, qui malgré une thématique du deuil qui pourrait être étouffante, nous permet de nous poser et de contempler ses personnages vivre et penser, en harmonie avec leur environnement.

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7 commentaires sur “Comment contempler – MABOROSI de Hirokazu Kore-eda (1995)

  1. Vu la manière dont tu écris ton article, je me demande si ça ne te plairait pas l’ASMR… parce que je trouve que contemplatif y ressemble pas mal, c’est quelque chose de calme, lent et il faut avoir tous les sens en éveil et l’état d’esprit adéquat pour que ça touche ^^

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    1. C’est possible… J’ai jamais vraiment compris en quoi ça consistait x)
      Ça m’arrive pour me détendre d’écouter des bruits de la nature ou de faire des exercices de respiration méditative mais je sais pas si c’est la même chose ^^

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      1. C’est un peu ça mais le principe c’est que des gens chuchotent ou tapotent des objets, et les bruits que tu entends très bien dans tes casques te provoquent une sorte de chatouillis. Moi ça me fait rien du tout donc je pourrai pas mieux expliquer XD

        Aimé par 1 personne

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